Module 2 : Fonctions logarithmes et puissance réelle
Vous êtes-vous déjà demandé ce que signifie un réel élevé à une puissance non entière ?
Cela n’a à première vue pas grand sens lorsqu’on regarde la définition initiale de la fonction puissance : soient un réel et un entier
, alors
est défini comme le produit de
par lui-même
fois (
avec
fois le réel
). Que signifie alors
,
ou plus généralement
avec
un réel ? (On verra également par la même occasion que contrairement à ce que l’on peut penser au début,
n’est pas tout à fait équivalent à
.)
Pour donner un sens à tout cela, il nous faut revenir sur les fonctions logarithmes et exponentielles. En classe de terminale, vous étudierez deux cas particuliers dans l’ensemble infini des fonctions logarithmes et exponentielles : celles « en base » , aussi appelées fonction logarithme népérien (notée
) et (simplement) fonction exponentielle (notée
).
Je vous propose dans ce module de redécouvrir les fonctions logarithmes à travers les exercices suivants, qui vous présenteront une approche différente de celle proposée au lycée. Nous donnerons également un sens au concept de puissance réelle, qui est loin d’être intuitif !
Introduction et contexte historique :
Historiquement, une fonction logarithme est une fonction ayant comme principale propriété de « transformer un produit en une somme ». C’est à dire que toute fonction logarithme se doit de vérifier la propriété suivante pour tous éléments
et
inclus dans son ensemble de définition :
.
Ces fonctions logarithmes font pour la première fois leur apparition au début du XVIe siècle, alors que l’astronomie se développe de plus en plus et amène les mathématiciens à devoir réaliser des calculs multiplicatifs très longs à la main. Une somme étant bien plus aisée à calculer qu’un produit, John Napier publie pour la première fois ses tables logarithmiques en 1614 (tables permettant de convertir deux nombres en leur logarithme, puis d’additionner les logarithmes et enfin de reconvertir le logarithme obtenu pour avoir directement le résultat de la multiplication des nombres initiaux).
La deuxième rencontre des mathématiciens avec les fonctions logarithmes est survenue au milieu du XVIe siècle dans un domaine parfaitement différent : en analyse, alors que les chercheurs de l’époque cherchaient un moyen de calculer l’aire sous la courbe de l’hyperbole d’équation . À force de recherches, ils parviennent à la conclusion que l’aire sous la courbe possède un comportement logarithmique : c’est-à-dire que si trois réels strictement positifs
,
et
sont en progression géométrique, les aires sous l’hyperbole de base
,
,
sont en progression arithmétique. C’est en 1651 que pour la première fois, Christian Huygens propose une méthode de calcul approchée de cette aire ; méthode qui sera améliorée par la suite pour en permettre une meilleure expression.
C’est la naissance du logarithme népérien, une fonction fondamentale étudiée en classe de Terminale, définie comme la primitive de la fonction s’annulant en 1 , ou encore comme l’intégrale de
entre 1 et un réel quelconque (si les termes de « primitive » ou « intégrale » ne vous disent rien, pas de panique, vous verrez ces concepts en milieu / fin d’année de Terminale). Ainsi géométriquement, le logarithme népérien d’un réel strictement positif
(noté
) est l’aire sous la courbe de l’hyperbole d’équation
entre 1 et
.
Au cours du XVIIe siècle sont découvertes les courbes des fonctions dites aujourd’hui « exponentielles », qui ne sont autre que les fonctions réciproques des fonctions logarithmes. La fonction exponentielle étudiée au lycée n’est autre qu’un cas particulier d’exponentielle : elle est la réciproque du logarithme népérien et est, comme ce dernier, de base (avec
). On a alors, pour tous
,
:
Plus généralement, toute fonction de la forme (avec
et
deux réels) est aussi une fonction exponentielle, dite de base
.
Vous pouvez commencer à voir se dessiner le lien entre exponentielle, logarithme et élévation à une puissance réelle. Nous verrons comment définir formellement la puissance à un exposant réel à la fin de ce module !
Exercice 1 : Logarithme entier en base deux (arbre binaire)
En informatique, le langage binaire est le langage naturel. Il arrive fréquemment de rencontrer des arbres binaires (arbre dont la structure se résume à deux branches par noeud), par exemple pour stocker des données.
Considérons l’arbre binaire (infini) de tous les entiers :
On note la hauteur (ou ligne) de l’entier
dans cet arbre ; 1 se trouvant à la hauteur 0.
Ainsi, on a par exemple ,
,
, etc…
1/ Soient un entier naturel , et
le nombre d’entiers qui sont à la hauteur
. Expliciter l’expression de
en fonction de
.
Par exemple, et
2/ a) Montrer que pour tout entier naturel , la ligne
commence par
.
b) Combien vaut ?
3/ Soient et
deux puissances de deux. Démontrer que :
Indice
3/ Puisque et
sont des puissances de deux, il existe deux entiers naturels
et
tels que
et
.
Exercice 2 : Logarithme entier en base dix
Nous allons maintenant voir un autre procédé nous permettant de définir une fonction logarithme, qui sera cette fois-ci la réciproque de la fonction puissance de dix ( , avec
un entier naturel ) : on parle de logarithme en base dix.
Soit un entier naturel. On note
le nombre de chiffres nécessaire à l’écriture décimale de
, moins un. Par exemple, 135206 s’écrit avec 6 chiffres, donc
. De même,
et
.
Une façon plus facilement exploitable de définir est de dire qu’il s’agit de l’unique entier tel que :
(On a bien ) .
1/ Soit un entier naturel, combien vaut
?
2/ Montrer que si et
sont deux puissances de dix, alors
.
3/ Si et
ne sont pas des puissances de dix, l’égalité ci-dessus n’est pas toujours vraie (essayez par exemple avec
et
). Montrer que, pour
et
deux entiers naturels quelconques, on a :
Indice
3/ On pourra par exemple revenir à la définition de et
Exercice 3 : Propriétés fondamentales des logarithmes
Nous allons maintenant étudier les propriétés fondamentales que se doit de vérifier toute fonction transformant un produit en une somme. Considérons la fonction continue sur son ensemble de définition, telle que pour tous
et
inclus dans son ensemble de définition, on a :
1/ Montrer que si la fonction est définie en 0 alors elle est identiquement nulle (c.à.d que
est la fonction constante égale à 0).
On suppose désormais que l’ensemble de définition de est
2/ Calculer .
3/ Soit , exprimer
en fonction de
pour tout
.
4/ Exprimer en fonction de
pour tout
.
5/ Pour un nombre réel positif et un entier naturel
, on note
l’unique solution réelle de l’équation
. Exprimer
en fonction de
, pour tout
.
6/ Exprimer en fonction de
pour tout
.
7/ Exprimer en fonction de
, pour tout
. En déduire une expression de
en fonction de
pour tout
et tout nombre rationnel
.
On admettra pour la dernière question une propriété topologique de l’ensemble des rationnels que vous étudierez et démontrerez en première année d’études supérieures (du moins en classes préparatoires) : cet ensemble est dit « dense » dans l’ensemble des réels (on dit que
est dense dans
). Cela signifie que tout intervalle de
non réduit à un point unique ( c.à.d de la forme
avec
et
distincts ) contient un rationnel. Autrement dit, entre deux nombres réels distincts se trouve toujours un rationnel (et donc une infinité).
L’une des conséquences de ce théorème est que pour tout réel, il est toujours possible de trouver une suite de nombres rationnels ayant pour limite ce réel.
8/ En s’aidant de la densité de dans
, démontrer par un raisonnement rigoureux que pour tout réel
, on a :
Indice
8/ Posez une suite de rationnels convergent vers
, puis étudiez la limite de
.
(N’oubliez pas les résultats des questions précédentes !)